Création du MINDDEVEL : regards croisés d’experts
À la faveur des décrets du président de la république du 2 mars 2018, un renouvellement de la classe gouvernementale a eu lieu. Ce changement intervient en pleine année électorale au Cameroun. Alors que de nouveaux visages se joignent à une équipe new-look désormais, l’actualité qui aura marqué l’attention est le découpage du ministère de l’administration territoriale. Le ministère dédié à la décentralisation et au développement local est créé avec à sa tête Georges Elanga Obam. Un plus pour l’accélération du processus de décentralisation prescrit par le président Paul Biya. Le groupe Villes et Communes vous plonge dans le décryptage de la naissance de ce nouveau département ministériel, en donnant la parole donnée à des acteurs du secteur.
“Je n’attends pas de changement majeur dans le “commandement territorial””
Philippe NSOA, journaliste spécialisé des questions de décentralisation et rédacteur en chef de Baromètre Communautaire.
Que vous inspire la création du Ministère de la décentralisation et du développement local par le Chef de l’État?
A priori, on peut dire que le Chef de l’État donne là la confirmation que la décentralisation est effectivement une option irréversible au Cameroun ainsi que le lien avec le développement local. Ce faisant, il est en cohérence avec la constitution. Cependant je ne suis pas sûr qu’un ministère soit la meilleure option pour cela. Quelque chose de plus compact (agence, fonds, direction générale…) aux pouvoirs étendus serait plus appropriée. En outre, si ce nouveau ministère positionne le développement local comme mission prioritaire de l’État, la nouvelle configuration du gouvernement peut entraîner une difficulté de coordination des interventions dans ce domaine. Étant entendu qu’au moins trois ministères y sont directement impliqués : MINDDEVEL, MINADER et MINEPAT. Une reconfiguration du MINEPATT et de MINADER est donc nécessaire.
Pensez-vous que la création de ce poste pourrait changer la configuration au niveau du commandement territorial, effectivité des régions et plein pouvoirs aux communes?
Je n’attends pas de changement majeur dans le “commandement territorial”. Dès lors que nous sommes toujours dans l’État unitaire, il va de soi que le représentant de l’État central restera le premier responsable dans l’organisation administrative (région département, arrondissement). Bien plus on risque un rallongement du circuit administratif dans l’accompagnement des CTD puisqu’il est prévisible que les ex responsables des CTD de l’ex MINATD seront reversés au nouveau MINDDEVEL. Les CTD seront alors soumises à un interminable va-et-vient entre le sous-préfet, préfet et gouverneur qui reste ” Chef de terre”, demandant régulièrement des comptes (préserver l’État unitaire) et les responsables territorialement compétents du MINDDEVEL. Les ” pleines” compétences des CTD ne tiennent pas tant de la création d’un ministère dédié a la décentralisation mais de la volonté politique réelle qui doit se traduire non seulement dans les matières/domaines qui sont du ressort des CTD mais aussi dans un accompagnement volontariste avec une mobilisation conséquente des ressources nécessaires (matérielles, humaines, financières). Pour le moment ce n’est pas le cas.
À l’aube de d’échéances électorales, peut-on voir apparaître des élections régionales, et quelles incidences véritables sur le développement et gouvernance locale?
Il est difficile de dire s’il y aura des élections régionales ou non cette année. Car il faut au préalable déterminer les matières/compétences dévolues aux régions, leurs ressources (humaines, matérielles, financières), les rapports entre communes et régions… Ce travail n’est pas encore fait ; pas plus que la mise en place de certaines administrations d’accompagnement (tribunaux régionaux). Sans oublier le côté politique de la chose avec des concepts explosifs comme autochtone, allogènes, minorités…
Tout ceci doit être acté par des lois, notamment la loi des finances qui encadre la mobilisation, l’affectation et le contrôle des deniers publics. Or, celle de 2018 est déjà adoptée; même si on peut l’amender mais cela sera très laborieux. Je crois que le gouvernement va se limiter au “service minimum”. Une délimitation “juste” c’est-à-dire moins contestée des compétences des régions et une clé de partage (équitable) des ressources avec les communes seraient déjà un pas significatif. Le développement local dépend d’une conjonction de nombreux facteurs dont tout ce que nous avons indiqué plus haut. Mais peut-on vraiment escompter, pour l’heure, le développement local du moment où le développement “tout court” est encore problématique ? Je crois qu’il est préférable de travailler d’abord à s’approprier les valeurs et pratiques de bonne gouvernance. Le développement suivra certainement.
“Une nouvelle République plus que jamais s’impose”
Maboula Mboya Jacques, Maire de la commune de Yabassi.
Que vous inspire la création du Ministère de la décentralisation et du développement local par le Chef de l’État?
La création du ministère de la décentralisation et du développement local est une fécondation en terme de gouvernance nouvelle, observons le cours de la gestation et faisons le suivi scrupuleux de la grossesse et à terme nous verrons si le bébé est bien portant.
Pensez-vous que la création de ce poste pourrait changer la configuration au niveau du commandement territorial, effectivité des régions et plein pouvoirs aux communes?
Créer un ministère spécialisé c’est un bon début déjà, reste à mettre le contenu et le mécanisme opérationnel qui rétablisse, la solidarité des terroirs, la juste et impartiale répartition des ressources nationales à toutes les communautés et citoyens, le sentiment d’égalité des chances et la confiance entre gouvernants et gouvernés. Ma seule crainte demeure la corruption, les détournements de fonds publics, le clientélisme, l’affairisme, le clanisme, et les réseaux mafieux identifiés et identifiables faute de vision globale et structurée en termes de gouvernance et construction nationales, terreau fertile de la gabegie et du pillage à ciel ouvert de la nation. Une nouvelle République plus que jamais s’impose pour une nouvelle vision, de nouveaux textes et nouvelles lois, une démarche opérationnelle, fonctionnelle et stratégique qui nous remette durablement en marche vers un Cameroun apaisé uni et indivisible maintenant pour que vive notre cher et beau pays, et que triomphe la République solidaire, confortable, agréable juste et impartiale.
“On s’achemine vers la mise en place des régions proprement dites au Cameroun”
Shale Nagha, promoteur d’une radio locale et expert des questions de décentralisation.
Que vous inspire la création du Ministère de la décentralisation et du développement local par le Chef de l’État?
La création d’un ministère en charge de la décentralisation et du développement local exprime clairement la volonté de Paul Biya d’accélérer le processus de décentralisation au Cameroun. Il est vrai que les politiciens pourront évoquer la recherche des solutions à la crise anglophone mais il faut bien noter que l’ancien MINATD gérait déjà l’aspect décentralisation. Il faut donc noter que le MINATD a déclenché le processus de décentralisation, et aujourd’hui le président estime qu’après la fondation, il faut de la finesse et un suivi attentif afin que l’ouvrage soit bien exécuté. C’est pourquoi il détache la décentralisation pour en faire un ministère et y ajoute le développement local.
Voulez bien remarquer qu’au Cameroun, quand on parle développement, on regarde le MINDUH qui a une mission de développement urbain, et le MINADER, qui a une mission de développement rural. La création d’un nouveau ministère en charge du développement local, vient donc renforcer systématiquement les liens, la nature des relations, et la gestion des affaires entre les administrations centrales et les autorités locales. Je pense sincèrement qu’on s’achemine vers la mise en place des régions proprement dites au Cameroun, avec tous les organes de la décentralisation.
Pensez-vous que la création de ce poste pourrait changer la configuration au niveau du commandement territorial, effectivité des régions et plein pouvoirs aux communes?
Je crois fermement que ce ministère ne vient pas mettre en place le processus de décentralisation au Cameroun. Comme je l’ai dit plus haut, l’ancien MINATD la déjà fait. Maintenant c’est la phase d’exécution. Nous entrons dans la pratique. Il sera question de définir des canaux de gestion des collectivités décentralisées en assurant au niveau local le bien-être des populations.
Ce nouveau ministère va fortement influencer la gestion de l’administration. Notez par exemple, il faudra mettre en place un statut de l’élu, une fonction publique locale ou territoriale, la finance locale, et vous comprenez que chaque territoire ou alors chaque commune si vous voulez deviendra pour certaines questions maître de sa gestion, et les élus rendront compte.
Dans des pays avances en décentralisation, quand on parle de la fonction publique locale, vous verrez par exemple que des services s’en cibles comme la sécurité est très bien organisée. Dans la fonction publique locale vous avez un service de police locale qui travaille à côté de la police nationale. Au Burkina par exemple, il y’a un directeur de la police municipale nommé par le président de la république charge de coordonner et gérer les toutes les polices municipales. Aussi je parlais d’un ministère en charge du développement urbain et un autre en charge du développement rural. Je pense le ministère en charge du développement local va obligatoirement influencer sur les missions de ces autres ministères en matière de développement.
Je reste donc convaincu que si les hommes restent dynamique et sérieux, ce ministère est celui qui devra donner aux élus la force nécessaire pour de leurs localités. Toutefois, j’espère que des nouvelles lois verront le jour. Notamment celle qui enlèvera la tutelle des mairies aux préfets.
À l’aube de d’échéances électorales, peut-on voir apparaitre des élections régionales, et quelles incidences véritables sur le développement et gouvernance locale?
Je pense qu’il n’y a plus de doute pour ce qui est élections régionales. Maintenant, il reste que les autorités locales reconnaissent leur redevabilité vis à vis de leurs populations en rendant compte, en toute transparence, des actions menées. Je rappelle qu’au Cameroun, la réforme constitutionnelle du 18janvier 1996 a fait du pays un “état unitaire décentralisé “. Cette réforme s’est concrétisée au plan juridique avec la promulgation des lois relatives à la décentralisation en 2004, puis en 2009. La publication de 2010 à 2015 des textes règlementaire sur le transfert des compétences particulières et des ressources au profit des collectivités territoriale décentralisées a permis à ce processus de prendre son essor . La création d’un ministère en charge de la décentralisation est la phase définitive.
Quand on parle décentralisation, il s’agit bien d’une stratégie de développement local, et pour un meilleur développement à la base les principes de bonnes gouvernances doivent être la boussole. Pour doit vous dire la décentralisation n’est pas un problème uniquement camerounais. Au Burkina Faso la loi portant création de la fonction publique territoriale à été adopte en janvier 2017, au Sénégal le haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) et la commission nationale du dialogue des territoires (CNDT) ont été institués et ont débutés leurs sessions de travail en vue d’améliorer le statut de l’élu local. Au Cameroun les maires touchent désormais des indemnités ils doivent donc se consacrer à la bonne gouvernance pour un véritable développement local.
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