Grâce Eboué: “Le consommateur de musique doit reprendre son pouvoir et exiger de la qualité dans ce qu’on lui sert”
Installée sous le sol norvégien depuis plusieurs années, l’artiste qui détient plusieurs cordes à son arc, de la musique à l’écriture se dévoile au grand public. Le 12 mars 2019, elle fait paraitre son dernier ouvrage « Je te cherchais et je me suis perdue », une production éclectique qui dessine le coté créatif d’Arlette-Grace Elangué Eboué. Rencontre exclusive avec un personnage dont la mise en valeur des africanités est son crédo quotidien.
Villes & Communes : Bonjour et Merci de nous prêter attention ce jour, alors qui est Grace Eboué ?
Grâce Eboué : Bonjour ! C’est de gaîté de cœur que je me joins au jeu ! Merci d’avoir voulu vous entretenir avec moi ! Qui suis-je ? Well, Grâce Eboué est née à Éséka d’un père Malimba et d’une mère Bulu. J’ai passé plusieurs années au Cameroun avant d’immigrer en France d’abord puis en Norvège où je suis actuellement installée. Depuis ma froide Norvège, j’assume divers rôles tels que : Auteure, Musicienne, conférencière et comptable.
Villes & Communes : Pourquoi le choix d’un pays nordique ? Vous fuyez les démons africains ? (Rires)
Grâce Eboué : Hahaha ! Des démons il y en a partout et croyez-moi “Mieux vaut un démon qu’on connait qu’un ange qu’on ne connait pas !” Car l’ange que nous avons cru voir en l’Occident c’est avéré être pour plusieurs Africains le plus grand piège de leur vie.
Pour revenir à votre question, la Norvège est une opportunité qui s’est présentée à moi il y a environ une vingtaine d’année. Je vivais à Paris et ma situation d’alors m’imposait de trouver un autre pays d’accueil. La Norvège semblait être la seule porte ouverte et je l’ai prise. Voilà !
Villes & Communes : Dites-nous plus, comment Grâce se plonge-t-elle ou se retrouve-t-elle dans la musique ? Vocation ou hasard ?
Grace Eboué : Je dois dire que la musique a toujours fait partie de mon univers mais je n’ai pas toujours eu une carrière musicale professionnelle comme celle que j’ai maintenant. Là réside la grande différence. J’ai fait des études de comptabilités et j’ai travaillé dans le secteur bancaire et financier qui est très éloigné de la carrière musicale. En fait, c’est un événement triste qui m’y a conduite. En effet, ma maman qui était la fondatrice d’une chorale assez connue au Cameroun quitta ce monde après une longue maladie. J’ai voulu lui rendre hommage en faisant la reprise de sa chanson préférée.
Je dois dire que j’étais assez confiante sur mes capacités à pouvoir chanter, ayant fait mes preuves dans plusieurs chorales. À sa mort donc, j’ai pris contact avec des musiciens et je suis entrée en studio. Peut-être était-ce mon ouverture spirituelle en ces moments de deuil ? Une chose est sûre, j’ai senti venir à moi l’inspiration d’écrire plusieurs chansons. D’une chanson au départ, je suis ressortie du studio avec un album de 8 titres. J’y ai découvert la joie et la guérison qui viennent quand on laisse le pouvoir de la musique nous reconstruire. Puisque mon entrée dans une carrière de musique ne s’est pas faite dans un but de divertissement, la musique pour moi a donc un autre but. Je l’utilise pour guérir et éduquer les esprits et pour élever les consciences. J’ai l’habitude de me définir comme une « motivational singer » c’est-à-dire que j’utilise la chanson pour motiver à être et à penser différemment et pour reconstruire ce qui a été détruit ou courbé. Voilà comment je me suis retrouvée professionnellement dans la musique et voilà pourquoi j’y reste !
Villes & Communes : Trois ans après la sortie du titre « I don’t believe your lies » et un an après « Hold on » vous êtes revenu sur la scène musicale en Décembre 2018 avec « A Sango’a Mboa » en featuring avec Duala Manga Bell, que cherchez-vous à transmettre via cette dernière chanson ? Serait-ce un Back to basics ?
Grace Eboué : « Back to basics » pour moi signifie retourner aux choses les plus importantes alors oui, « A Sango’a Mboa » est un appel à chaque Africain à retourner à ce qui est vraiment important.
Mais il y a d’autres volets à cette chanson. Vous savez, assez jeune, j’ai quitté le Cameroun pour la France d’abord puis la Norvège. Depuis quelques années, il est devenu de plus en plus impossible pour moi de rester aveugle et passive sur les abus qui sont faits en terres d’Afrique et sur la diabolisation volontaire du peuple Noir par les occidentaux dans tous leurs médias. Je me suis posée des questions « pourquoi ? Comment ? » Sur les tous les maux que nous connaissons. J’en suis venue à la conclusion que je devais non seulement être le changement que je voudrais voir dans mon Afrique et chez le peuple Noir, mais qu’aussi, je devrais apporter ma contribution pour notre relève qui pour moi passe par un réveil du sentiment de grandeur en chaque Africain dans un monde qui lui ment tous les jours en lui disant qu’il est ce qu’il n’est pas. J’ai voulu rappeler à son souvenir un grand homme, un héros, afin qu’il ait quelqu’un à qui s’identifier dans une Afrique en manque de bons modèles. Et aussi l’encourager à canaliser le « Duala Manga Bell » le « Sankara » qui sommeille en lui. Car, la reconstruction de notre continent exige l’apport de tous et de chacun.
« A SANGO’A MBOA » a également une valeur sentimentale pour moi, et je m’explique :
Mon père, qui était Sawa/Malimba, est mort alors que je n’avais que 4 ans. Je n’ai jamais pu apprendre ni sa langue, ni sa culture. Mais chaque fois que je chantais cette chanson, j’avais l’impression que si je me retournais, je le verrai derrière moi. Je sentais sa présence, heureux et fier de voir sa petite fille, devenue femme, rechercher ses racines et faire son retour auprès des siens. Cette chanson est ma façon de repartir vers mon peuple Sawa et me reconnecter à lui. Mais aussi, par elle, je voudrais rappeler au peuple Camerounais qui semble avoir perdu ses repères faute d’avoir de vrais bons modèles, que nous avons toujours eu des héros ! Héros qui malheureusement ont payé de leurs vies à s’opposer à ces peuples qui veulent tout prendre à l’Afrique et aux africains ! Héros qui risquent de tomber dans l’oubli si nous ne ravivons pas leurs souvenirs et si nous n’enseignons pas leurs actions
Villes & Communes : L’on vous sait très attachée au patrimoine culturel africain, est-ce la motivation de vos combats quotidiens et la principale source d’inspiration de vos œuvres ?
Grace Eboué : Je n’aime pas beaucoup le mot combat qui implique des adversaires qui combattent. Je n’ai pas d’adversaires (cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas.) car mes actions, mes œuvres résonnent naturellement en ceux qui sont appelés soit à être réveillés par moi soit à faire route avec moi pour ensemble créer plus beau et plus grand. Je ne combats donc pas ! C’est-à-dire que je ne me concentre pas sur des quelconques adversaires car je ne me sens pas appelée à diriger mon intention, énergie et actions pour gagner des antagonistes. Mais, je me sens tout à fait appelée à utiliser ce que je sais et ce que je suis – et être femme et Africaine en font parties – et de m’inspirer de cette richesse culturelle Africaine pour créer des œuvres littéraires et musicales pour ne citer que celles-là. Être attaché au patrimoine Africain, pour moi, va de soi ! En être déconnectée crée la souffrance du dénie de soi et il y a longtemps que j’ai été guérie de l’illusion de vouloir être autre chose qu’Africaine.
Villes & Communes : Avez-vous songez à collaborer avec d’autres artistes à l’image de Richard Bona, Sam Mbende, ou autres ?
Grace Eboué : Quelle surprise que vous mentionnez son nom ! Sam Mbendé est un grand talent qu’on ne présente plus ! C’est quelqu’un pour qui j’ai le plus grand respect, lequel je crois est réciproque et c’est quelqu’un que j’ai la joie de pouvoir appeler un ami. Je lui ai déjà fait part de mon vœu de collaborer musicalement avec lui et je crois que si c’est dans le plan de la vie, cela se fera naturellement. Les œuvres de l’esprit révélant des choses de l’esprit, je suis partante pour de belles collaborations avec tout artiste dont l’esprit résonnera avec le mien.
Villes & Communes : Lorsque l’on vous écoute musicalement il est mêlé de la spiritualité à la traditionnalité́. Pour quelles raisons ce mélange ?
Grace Eboué : Ce mélange va de soi car mes œuvres sont une expression de mon être tout entier. « Connais-toi toi-même » nous dit une citation spirituelle et je suis une personne très consciente spirituellement. Je sais que je suis d’abord un être spirituel ! Mais, je suis aussi assez consciente des particularités de mon incarnation sur terre à savoir une femme, Africaine, Camerounaise, Sawa/Bulu. Mon inspiration vient donc de ce que je suis, sais, fais et expérimente dans mon monde en tant qu’Être spirituel dans un corps à particularités et culture Africaine. De l’invisible au visible, je matérialise donc mes œuvres à partir de mes deux réalités d’être spirituel et Africain. Voilà pourquoi !
Villes & Communes : Le 11 mars 2019, marque la sortie de votre livre « Je te cherchais et je me suis perdue » ! Dites-nous en plus !
Grace Eboué : “Je te cherchais et je me suis perdue” est un livre pour lequel je reçois de nombreux feedbacks positifs depuis sa publication ! Il s’adresse aux populations aussi bien Occidentale qu’Africaine. De nos jours, en Occident, il est très question d’immigration, d’envahissement, de barricader ses frontières, de chasser les immigrés et de créer des lois toujours plus sévères contre ces derniers. Un dicton populaire nous dit de nous mettre dans les chaussures des autres avant de les juger. Aux occidentaux qui jamais peut-être ne pourront chausser des chaussures d’Africain, je vous invite à lire le récit qui provient des traces de pas de Sillah, le personnage principal du livre, et de faire la marche avec elle, de son Cameroun natal à la Norvège en passant par la France. Connaître les raisons psychologiques derrière les choix de vie d’une immigrée et dans le cas de ce récit, ce ne sont pas les raisons que l’on croit savoir…
“Je te cherchais et je me suis perdue” est plus que jamais pour les populations Africaines ! Pourquoi ? Parce que le peuple Africain a plus que jamais besoin de se parler et de raconter les pièges dans lesquels il est tombé à la recherche des illusions qui lui ont été servies.
On nous a servi des illusions ! Dans ce livre, l’auteure nous sert un nouveau menu, la réalité du plat d’une vie ! À consommer sans modération car les ingrédients principaux sont sains pour votre être tout entier. Ce sont des leçons de vie ! Puissent-elles apporter au peuple Africain plus de savoir et la démystification d’un ailleurs ce qui pourrait ainsi l’aider à jouir pleinement chez lui, de tout ce qui est à lui, avec ceux qui sont de lui.
Villes & Communes : Une campagne sera-t-elle prévue au Cameroun ou dans d’autres pays africains afin de connecter le grand public à vous, en dehors du voile numérique ?
Grace Eboué : Oh que oui ! Après la France, la Belgique et la Suisse, je compte me rendre au Cameroun d’abord puis dans d’autres pays Africains pour présenter cette œuvre littéraire qui je pense devrait être lue par chaque être humain. La Vie a toujours des plans plus beaux et plus intelligents que les miens et je me réjouis d’expérimenter ce qu’Elle me présentera.
Villes & Communes : Quel est votre plaidoyer le plus cher sur le développement durable en Afrique et les traditions ?
Grace Eboué : Oh vous savez, il n’y a pas de développement durable ni de conservation des traditions Africaines si on ne sait pas qui on est dans son entièreté. Comment conserver ce qu’on a oublié et qu’on ne sait plus ? Et, l’Occident a fait un remarquable travail pour rendre l’Africain confus et fou. Et pour moi, rien de durable ne peut se faire tant que l’Africain n’a pas repris sa souveraineté d’esprit.
Dans l’immédiat, je brule d’encourager chaque Africain à être le changement qu’il voudrait voir en Afrique et être le sauveur que notre continent attend. Les maux de l’Afrique dont nous nous plaignons ne sont que les représentations extérieures des maux dans nos esprits. La corruption, la malhonnêteté, l’impolitesse, la saleté, la prostitution ne sont que les manifestations de toutes les malhonnêtetés, prostitution et saleté dans nos esprits. De l’invisible au visible. J’urge donc chaque Africain à nettoyer dans son esprit et ce changement se manifestera extérieurement dans notre continent. Nous sommes un peuple et un continent constamment attaqué, matraqué, saboté et abusé par l’Occident mais il y a une partie qui relève de notre ressort et là nous pouvons faire quelque chose. Ce quelque chose commence par un travail intérieur.
Villes & Communes : Un album en vue ? Vos projets immédiats ?
Grace Eboué : J’ai des chansons toutes prêtes que je sortirai sous formes de single question de donner le focus qu’elle mérite à chaque chanson. Mes projets immédiats consistent à parcourir le monde et partager mes œuvres littéraire et musicale avec ceux avec qui elles résonneront vraies. C’est dit en une phrase mais croyez-moi il y a derrière énormément de tâches à accomplir ! Mais que de joie, gains et bonheur en découleront. Voilà ce à quoi je vais m’atteler !
J’ai un mot spécial pour le public ! Celui de leur dire : Vous avez plus de pouvoir que vous le croyez pour changer les standards musicaux du monde ! Boycottez, ignorez royalement ces artistes qui rabaissent le niveau de moralité du peuple et qui réduisent la femme. Ces textes pornographiques, ces textes et musiques imbéciles qui abrutissent le peuple. Allez plutôt vers ces artistes-là qui ont pour souci d’enrichir votre Être, à vous rendre plus conscient et vous aider à briller. Pas ceux qui veulent briller en vous maintenant dans l’obscurité et la bassesse. C’est comme en politique où le peuple a oublié que c’est lui qui a le pouvoir. De même, le consommateur de musique doit reprendre son pouvoir et exiger de la qualité lyrique et mélodieuse dans ce qu’on lui sert. Ce changement de pouvoir redonnera vie à la vraie créativité. Choisir ce qui est beau à ce qui est faux, faisant ainsi place à des œuvres musicales de grands esprits créatifs et ainsi la musique pornographique et de tapage entrera dans les oubliettes. Quand ces artistes-là verront que personnes ne s’intéressent à eux/elles, Ils/elles seront obligé(e)s de reprendre le chemin du louable ou alors ils/elles se tairont à jamais et ainsi nous jouiront du pouvoir de la musique qui nous sert et non qui nous dessert. Et il est temps pour l’Homme que le pouvoir de la musique – car la musique est véritablement un pouvoir – soit utiliser pour lui et non contre lui et qu’il soit un outil qui l’aide à atteindre son plein potentiel. Mais nous n’en sommes malheureusement pas encore là. Mais cela viendra !
Entretien réalisé par Manfred ESSOME
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