« La décentralisation offre l’occasion d’une planification équitable du développement »
Albert Anicet Akoa, Maire de Ngoulemakong
Maire de Ngoulemakong, une commune rurale de la région du Sud-Cameroun, et vice-président de l’association des Communes et villes unies du Cameroun (Cvuc), il revient sur les enseignements du colloque, son action dans la matérialisation de la décentralisation, et sur l’élection des premiers sénateurs du Cameroun qui intervient 17 ans après l’inscription du Sénat dans la constitution en 1996.
Quels enseignements un élu local peut-il tirer au sortir de ce colloque axé sur la redevabilité ?
Nos enseignements sont nombreux. Mais le plus important porte sur la redéfinition et le repositionnement de l’institution communale. La commune était perçue autrement au début du colloque et différemment après celui-ci. Le citoyen avait un regard indifférent, inquisiteur voire critique sur la commune. Il n’a pas toujours une bonne compréhension de l’institution communale par conséquent il se met souvent à l’écart sur le plan civique en termes de participation à l’amélioration de ses conditions de vie. Et nous les élus locaux, nous avons appréhendé l’importance de toujours rendre compte aux populations.
Durant vos multiples interventions au cours de ce colloque, vous avez mis l’accent sur la réforme de l’Etat. Sur quelle base l’impulser ?
Une fois que l’option a été prise et inscrite dans notre constitution que le Cameroun est un Etat unitaire décentralisé, cela rappelle la vision des responsables politiques, maintenant il faut élaborer une réforme. Et moi ce que j’entends par là, c’est un nouveau questionnement sur la façon d’agir, une nouvelle façon d’être pour que l’objectif de décentralisation puisse offrir de meilleures conditions de vie aux populations à la base.
Il s’agit de se questionner sur comment allons nous travailler désormais, et d’élaborer les chantiers prioritaires. Sur l’eau potable, le désenclavement par la construction des routes rurales, les questions d’offre énergétique, l’habitat social et se dire que pour que cela puisse marcher, il faut se poser des bonnes questions. Pas simple- ment se limiter à dire que la commune n’a pas de compétence pour s’assumer, mais il faut voir la commune comme un instrument central pour la réussite des objectifs de développement et chercher à la rendre performante.La réponse à cette question se présente à mon sens comme le début de la réforme. On pense au redéploiement des ressources de l’Etat dans les collectivités territoriales décentralisées, pour que cela puisse trouver les solutions. S’il faut parler du problème d’eau potable au Cameroun, il faut se poser la question de savoir combien d’années il faut pour atteindre l’objectif et y orienter les énergies nécessaires. On peut dire par exemple qu’on affecte 300 millions par an pour ce problème avec des ingénieurs qui assurent le suivi et la gestion. Je crois que le problème pourra trouver un début de solution. C’est ça qui est important pour le citoyen ou le paysan dans un contexte de décentralisation et on peut prendre cet exemple et l’étaler dans d’autres secteurs comme la santé, l’éducation, etc.
Et cette position fait penser dans votre entourage que vous êtes un maire atypique alors que vous vous trouvez en zone rurale. Quelle est votre recette ?
l s’agit d’un problème de convictions. Il faut d’abord dire que si on vous confie des responsabilités, cela veut dire qu’il y a un certain nombre d’attentes. A cette confiance s’ajoutent les réalités de terrains. Si vous avez déjà vu quelqu’un qui manque d’eau potable, qui manque de lumière ou qui marche 30 km à pied parce qu’il veut aller à l’hôpital, alors vous allez prendre des dispositions pour améliorer son quotidien. Et cette mission vous galvanise; c’est une sorte de patriotisme qui nait après un diagnostic auprès des populations. A notre niveau, partir d’une planification à l’issue des concertations qui sont faites même en langue locale permet l’élaboration d’un pacte social local et c’est sur l’honneur que les différentes parties s’engagent pour plus d’efficacité. Et c’est l’une des voies vers la modernité.
Vous occupez aussi une place centrale dans l’association des Communes et villes unies du Cameroun (Cvuc). Sur quel champ se déploie aujourd’hui votre organisation ?
Nous avons au sein des Communes et villes unies du Cameroun, une ambition de positionnement comme une organisation citoyenne qui travaille aux côtés de l’Etat et des partenaires au développement pour présenter les aspirations des populations locales. Nous les accompagnons pour insuffler le développement local. Nous avons les problèmes stratégiques, techniques et des dossiers politiques. Nous apportons des alternatives qui peuvent permettre à l’Etat de mieux nous comprendre et de mieux nous aider. Ne l’oublions pas: la décentralisation n’a pas été arrachée par les collectivités, elle a été voulue par les gouvernants avec une pleine volonté de l’Etat central, notamment le président de la République. A chaque fois que nous sentons que les choses prennent une autre dimension nous interpelons l’Etat tant sur le plan de la vitesse des transferts de compétence ou des ressources que sur les stratégies à mettre en place.
L’on s’achemine vers la fin des mandats au sein des exécutifs communaux. S’il vous était demandé de rendre compte ?
Le bilan de mon action peut se faire à la fois au niveau national qu’au sein de la commune que je dirige. Au niveau national, nos efforts dans le cadre des Cvuc ont permis de donner un contenu à la décentralisation dans les différentes commissions techniques mises en place par l’Etat ou dans l’élaboration des lois. La loi sur la fiscalité locale, le régime financier des collectivités territoriales décentralisées en sont des illustrations au même titre que l’élaboration des cahiers de charges dans de multiples secteurs. L’avantage est que les Cvuc transcendent la coloration partisane pour défendre les intérêts des collectivités. Le mouvement municipal a besoin d’être uni sans influence des différents partis politiques qui composent cette association. Un staff technique est d’ailleurs en train d’être mis en place.
Au niveau de la commune de Ngoulemakong, je suis au terme de mon deuxième mandat et nous pensons que la marche vers la modernité est rude, mais nous avançons. Et le plus important là bas, c’est que nous avons réussi à démystifier le maire, c’est un citoyen ordinaire, un ouvrier en quête de bien-être collectif. Sur le plan économique nous avons créé la fête régionale du manioc qui a permis l’amélioration des revenus des femmes, nous sommes à 76% du projet «un village un point d’eau» sur le plan de l’offre en eau potable. En 2002- 2004 nous étions à 82% de zones enclavées aujourd’hui nous avons inversé la tendance avec près de 92% de villages désenclavés. Nous avons un compte administratif de près de 300 millions de FCFA contre 50 millions en 2002, le budget 2013 est de 425 millions de FCFA. Nous avons fait des réformes structurelles au niveau de l’administration de la commune.
Votre perception du processus de décentralisation 17 ans après…
La décentralisation est une chance pour le Cameroun; pas seulement pour les collectivités, mais davantage pour les populations. La maitrise des réalités locales dans chaque commune peut permettre la mise en place d’une planification équitable en termes d’implantation des projets de développement sur tous les plans. Un maire à qui on transfère des ressources indispensables pour sa commune avec un délai et une traçabilité dispose des atouts nécessaires pour le développement
Quel état d’esprit vous anime en votre qualité de membre du collège électoral appelé à élire les premiers sénateurs du Cameroun ?
Je suis fier d’être dans cette posture d’électeur des premiers sénateurs au Cameroun. Et la mise en place de cette institution est la matérialisation de la marche vers la décentralisation. Je tiens à le rappeler: le sénat c’est la chambre haute du Parlement et il représente les collectivités territoriales décentralisées. Et suivant le calendrier de mise en place des institutions prévues dans le texte constitutionnel de 1996, le Cameroun conforte sa marche vers la démocratie. Nous les conseillers municipaux nous jouons pleinement le rôle que devaient jouer les conseillers régionaux.
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